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Avec 3% de croissance et un chômage en baisse, l’Espagne semble sortie de la crise. Pas si simple... Les problèmes de fond subsistent
La vieille parcelle près du front de mer, devenue terrain vague au fil des années, a pris vie. Entre les troncs métalliques de l’échafaudage, chauffés par un soleil de plomb, les ouvriers tapent, assemblent et soudent, au rythme des grues. C’est un spectacle auquel on n’avait plus assisté depuis presque une décennie dans cette petite station balnéaire de la Costa Blanca. Signe que l’Espagne, lourdement affectée par la crise financière de 2008, est enfin tirée d’affaire?
«Le pire est derrière elle», indique Marco Bonaviri, gestionnaire de portefeuille senior chez Reyl. Avec une hausse attendue du produit intérieur brut d’au moins 3% cette année, l’Espagne figure parmi les quatre pays de la zone euro avec la plus forte croissance. «Mais si elle affiche un tel niveau aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle est descendue très bas pendant la crise.»
Une personne sur huit
Cette impression de mieux tient essentiellement de l’afflux massif de touristes ces dernières années, avec un niveau record atteint l’an passé en hausse de près de 10% sur un an – 75,3 millions de visiteurs qui ont dépensé 77 milliards d’euros (+8,3%), selon les chiffres du Ministère du tourisme.
C’est ce boom touristique qui porte le secteur des services et entraîne avec lui la construction. «Il fait vivre une personne sur huit», relève Françoise Mensi, gérante discrétionnaire à la banque Bonhôte & Cie. La reprise se dessine ainsi avec de grandes disparités selon les régions, avec un dynamisme plus marqué dans les zones plus fréquentées par les visiteurs, comme les îles et le bord de la Méditerranée, où se trouve ce petit village de la Costa Blanca qui fait danser les grues. Sans oublier que cette économie demeure sujette à d’importantes variations, en raison de sa composition, puisque la construction – très sensible aux cycles conjoncturels – y tient une place prépondérante.
La construction, justement, un secteur qui se ressaisit doucement, après avoir atteint un pic en 2008, puis touché le fond en 2014. «On était alors dans un contexte de bulle. Celle-ci a éclaté et on ne reviendra probablement pas – et heureusement, en un sens – aux niveaux d’avant la crise», signale Marco Bonaviri. Mais à y regarder de plus près, ce secteur clé ne va pas si bien: alors qu’il employait près de deux millions de personnes avant la crise, il en compte aujourd’hui 1,13 million, selon l’Institut national de la statistique (INE). Et le taux de chômage y flirte toujours avec les 40%.
Bien loin du niveau de 17,2% publié la semaine dernière par l’INE pour le trimestre écoulé et des 11% que le gouvernement veut atteindre d’ici à 2020. Mais là aussi il faut lire entre les lignes, «beaucoup de personnes ont arrêté de chercher, ce que ne reflète pas ce chiffre», nuance Françoise Mensi. Ce taux place par ailleurs le pays en queue de peloton de la zone euro, où la moyenne est de 9,3%, selon Eurostat, juste devant la Grèce.
Et si l’Espagne revient de loin, après avoir vu plus du quart de sa population au chômage, elle n’a pas pour autant résolu ses problèmes de chômage structurel. A savoir celui qui n’est pas de l’unique faute de la crise, mais celui qui relève de la structure économique du pays.
«C’est la question cruciale, aujourd’hui.» Plus de 40% sont des emplois à faible valeur ajoutée et le travail temporaire frôle les 27%. «Cette situation se traduit par un nombre important de working poor», ces personnes qui ont un travail, mais n’arrivent pas à joindre les deux bouts.
Génération 1000 euros
Au point que les jeunes, qui arrivent dans le monde de l’emploi, sont surnommés la génération 1000 euros. Pour consolider la reprise économique qui se dessine, l’Espagne va devoir entamer les fameuses réformes structurelles, et diversifier ses sources de revenus et renforcer des secteurs clés comme l’industrie ou la construction.
Car la seule manne du tourisme n’est pas éternelle. Représentant 11% du produit intérieur brut du pays en 2015, «ce secteur atteint sa capacité maximale et deviendra un contributeur moins important à l’avenir», explique Marco Bonaviri.
«Il profite aujourd’hui du climat d’insécurité dans les capitales européennes et la Turquie, mais pour combien de temps encore?» interroge Françoise Mensi. Sa robustesse est aussi mise à mal par l’incertitude qui entoure encore l’issue des négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Europe, les Britanniques étant les premiers visiteurs étrangers de la Péninsule.
Cet essor fait par ailleurs grimper les prix – dans la station sise sur la bande de sable entre Alicante et Murcie, la cerveza a déjà pris quelques dizaines de centimes –, rendant la destination plus chère que d’autres pays méditerranéens. Une situation qui pourrait profiter à la Grèce, qui, comme le constate la Fédération suisse du voyage, figure cette année sur le podium des destinations phares de l’année.