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QUELS FACTEURS POURRAIENT ÊTRE SUSCEPTIBLES D’ENRAYER (OU NON) LA HAUSSE DU MARCHÉ, QUE RIEN NE SEMBLE POUVOIR ARRÊTER?
Par Marco Bonaviri, Senior Portfolio Manager, Banque REYL & Cie; Nicolas Roth, Responsable Des Investissements Alternatifs, Banque Reyl
Les investisseurs ne manqueront pas de superlatifs pour se remémorer 2017. Tous les indices boursiers américains ont atteint des sommets historiques plus d’une fois durant l’année, tandis que les spreads de crédit se sont resserrés à des niveaux extrêmes et que la volatilité a affiché des plus bas inédits. Le bitcoin a flirté avec les 20 000 dollars, la capitalisation boursière du fameux groupe des FANG et de leurs homologues chinois (Baidu, Baba et Tencent) a augmenté de 1500 milliards de dollars, plus que le marché allemand dans son ensemble, enfin l’Argentine, qui a fait défaut à huit reprises en 200 ans, est parvenue à émettre un emprunt à 100 ans...
Les poussées de tension n’ont pas suffi à altérer ce sentiment d’euphorie: la crise nord-coréenne a posteriori semble être un non-événement et la crise constitutionnelle en Catalogne n’a eu quasiment aucun impact à l’exception de quelques valeurs espagnoles. Le marché atteint-il réellement des niveaux démesurés et quels facteurs pourraient être susceptibles d’enrayer (ou non) sa hausse que rien ne semble pouvoir arrêter?
Dans l’attente d’une correction
L’indice MSCI All Country World (ACWI) s’est envolé de plus de 240 % depuis ses creux de 2009, dépassant de 55 % son précédent sommet de 2007. Selon plusieurs analystes, cette phase haussière va bientôt entamer sa neuvième année, ce qui en fait la deuxième la plus longue jamais observée. Sa durée et son ampleur sont dès lors devenues un argument pour avancer qu’un cycle baissier se profile à l’horizon.
Sachant que la définition classique (et quelque peu arbitraire) d’un marché baissier est une baisse de 20 %, il convient de noter que la hausse actuelle amorcée en 2009 a déjà été interrompue à deux reprises par une chute d’une telle ampleur, en 2011 et en 2015. Sur la base de l’analyse technique, l’indice MSCI ACWI en réalité a entamé sa phase haussière en 2014 au moment où il a dépassé ses sommets de 2007, invalidant ainsi l’argument fondé sur sa durée et son ampleur.
Un certain nombre d’investisseurs et d’observateurs s’attendent également à une correction au regard du caractère globalement excessif des valorisations. Bien que les actions se traitent à des niveaux historiques et que les spreads de crédit soient extrêmement serrés, des valorisations élevées ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour déclencher un marché baissier. En cas de choc exogène, une correction peut intervenir quel que soit le niveau de valorisation. Les observateurs tendent également à oublier qu’une période de valorisations élevées peut perdurer longtemps lorsque soutenue par une solide dynamique économique, une croissance synchronisée et une augmentation des bénéfices telles qu’observées actuellement. Pour 2018, les analystes tablent sur une croissance de 3,7 % du PIB et sur une hausse de 10 % des bénéfices par action au niveau mondial.
L’exemple des actions américaines pour démontrer (ou non) le caractère excessif des valorisations est relativement éloquent. La plupart des analystes se fondent sur une comparaison entre les niveaux actuels et la médiane à long terme, mais cette technique simpliste ne tient pas compte du contexte macroéconomique actuel (faible inflation et faibles rendements obligataires), elle n’ajuste pas des valeurs extrêmes (bulle technologique, crise financière mondiale), et omet les modifications de la composition de l’indice.
À l’aune des multiples de valorisation ajustés, il semble que les actions américaines, sans être bon marché certes, ne sont pas non plus excessivement onéreuses. Le ratio PEG («price /earnings to growth») de l’indice S&P 500 s’établit à 1.3x, niveau inférieur à ceux de 2000 et 2007, tandis que le ratio CAPE («cyclically adjusted price/earnings»), qui tient compte de la cyclicité des bénéfices, se situe à 24x, au-delà de sa moyenne à long terme mais là encore en deçà des pics de 2000 (48x) et 2007 (30x). Sans doute plus important encore, les valorisations des actions restent nettement plus favorables que celles des obligations. Cette situation est appelée à perdurer tant que les rapports bénéfices/ cours («earnings yield») et le rendement du dividende l’emporteront sur les rendements obligataires.
Les investisseurs doivent-ils craindre le fameux «resserrement quantitatif» qu’envisagent les banques centrales? La Fed devrait être la seule grande banque centrale à amorcer le resserrement de sa politique en relevant ses taux à trois reprises en 2018 et en entamant la réduction de son bilan.
La politique des autres grandes banques centrales (BCE, Banque du Japon, Banque centrale de Chine) devrait rester accommodante, même si dans une moindre mesure. Les conditions financières mondiales devraient ainsi rester globalement expansionnistes et soutenir les actifs risqués. En outre, la relance budgétaire pourrait compenser en partie la réduction des mesures de relance monétaire. Les prix des marchés intègrent déjà cette décélération et seule une surprise sur le front de l’inflation pourrait inciter les banques centrales à durcir leurs politiques de façon plus musclée ou plus rapide qu’anticipée actuellement.
Ce qui rend la situation aujourd’hui à la fois intéressante et problématique, c’est qu’en dépit de la validité des arguments évoqués ci-dessus, le marché reste soumis à plusieurs facteurs exogènes tels que des événements géopolitiques ou une crise temporaire attisant l’incertitude.
D’année en année, l’Europe connaît de nouvelles crises politiques: qu’il s’agisse d’élections risquées, de référendums ou de réformes constitutionnelles, la région est constamment sous le feu des projecteurs en raison d’enjeux politiques. Malheureusement, 2018 n’échappera pas à cette règle, avec les élections législatives italiennes en début d’année. Le système bancaire italien continue de crouler sous une montagne de créances douteuses, la dette italienne reste la deuxième de la zone euro en pourcentage du PIB derrière celle de la Grèce et le populisme gagne du terrain parmi les électeurs.
Dans un tel contexte, l’Italie réunit toutes les conditions requises pour alimenter l’incertitude sur la scène politique européenne, ce qui induit habituellement une phase d’aversion au risque. Plus précisément, le parti populiste «Cinque Stelle» pourrait être susceptible d’organiser un référendum sur l’appartenance à la zone euro, sachant toutefois que d’un point de vue technique, il y a un grand pas à franchir entre un référendum et une sortie de l’euro. Quoi qu’il en soit, l’Italie devrait rester sur l’écran radar des investisseurs et n’est certainement pas à l’abri d’une crise bancaire.
Les crises et les corrections des marchés s’accompagnent toutes d’un accroissement de la volatilité. La situation pourrait cependant être différente cette fois-ci car les produits axés sur la volatilité sont susceptibles de provoquer une correction, modifiant le rapport de causalité entre la baisse des cours des actions et la hausse de la volatilité. Les produits vendeurs de volatilité et autres stratégies dans lesquelles la volatilité est un élément de la performance ont pour effet de décupler la faiblesse de la volatilité, ce qui participe au trade de compression.
Une hausse très brutale
Cependant, contrairement à d’autres classes d’actifs, la volatilité est susceptible de remonter très brutalement car elle sert d’élément déclencheur à différents produits. Une légère hausse de la volatilité peut ainsi provoquer une réduction généralisée de l’effet de levier, entraînant de nouvelles ventes. La même spirale négative qui a ramené la volatilité à des niveaux anormalement faibles peut s’inverser et la porter à des niveaux anormalement élevés, portant un coup fatal aux stratégies de «risk parity», de vol target, de prime de risque et à d’autres stratégies vendeuses de volatilité comme le tracker XIV si controversé.
L’élément déclencheur peut revêtir différentes formes et reste très incertain. La seule certitude est que la hausse de la volatilité sera probablement très brutale et, sauf si correctement anticipée en termes de gestion de portefeuille, il sera impossible d’y échapper.
2017 devrait se révéler être une excellente année pour la plupart des investisseurs. Cependant, ces derniers doivent à tout moment rester vigilants et ne pas céder à l’excès d’optimisme, surtout lorsque les performances sont élevées. La construction de portefeuille doit rester arrimée aux fondamentaux macroéconomiques et aux valorisations. Néanmoins, l’allocation tactique des actifs sera tout aussi importante pour négocier ces conditions de marché apparemment favorables l’an prochain, en privilégiant l’agilité et l’exposition à des moteurs de performance indépendants.