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Fiscalité des entreprises. Conséquences directes pour la Suisse de la directive européenne contre l’évasion fiscale des Sociétés Etrangères Contrôlées.
Depuis le 21 juin, la directive européenne contre l’évasion fiscale des Sociétés Etrangères Contrôlées (SEC) - en projet depuis un an - a été adoptée. L’objectif de cette directive est de limiter fortement la concurrence fiscale au sein de l’Union européenne et de facto pour les pays tiers comme les membres de l’AELE dont fait partie la Suisse. Le protectionnisme fiscal se trouve largement renforcé dans cette directive, qui concerne les Sociétés Etrangères Contrôlées (SEC), la taxe de sortie (exit tax), les déductibilités des intérêts et l’élimination de tout montage purement fictif démontrable. Cette dernière catégorie «un peu fourre-tout» laisse beaucoup de place à l’interprétation. Les conséquences pour la Suisse sont substantielles.
Le point de la situation et de l’impact direct sur la Suisse et RIEIII avec Drazen Turujlija, senior Tax & Wealth Planner chez REYL Prime Solutions à Genève.
Quel est l’impact sur la Suisse de cette directive adoptée par la Commission européenne le 21 juin ?
Cette directive risque d’impacter certains pays européens à fiscalité tempérée, dont la Suisse. Avant l’adoption de cette directive, certains pays membres de l’Union Européenne, comme la France, appliquaient leurs propres règles de lutte contre l’évasion fiscale. Pour reprendre l’exemple français (article 209B), si une filiale étrangère d’une société-mère française était résidente d’un pays où le taux d’imposition effectif était inférieur à 2/3 de celui pratiqué en France, alors les bénéfices de la filiale étaient taxés en France avec un crédit d’impôt équivalent à l’impôt payé à l’étranger. Avec cette directive, le différentiel d’imposition a été abaissé de 75% à 50% et sera applicable dans tous les pays de l’UE. Une filiale suisse d’une société-mère française, allemande ou italienne pourrait donc être impactée.
Lorsqu’une société-mère possédait une filiale étrangère disposant localement d’une activité réelle substantielle, ne pouvait-elle pas se soustraire à l’application des règles SEC ?
Absolument. Or cette nouvelle directive de la Commission européenne permet expressément aux pays membres de l’Union de dénier cette dérogation aux sociétés étrangères n’appartenant ni à l’Union ni à l’EEE. On ignore encore si ces pays exerceront le droit de dénier cette dérogation, mais l’incertitude est grande et le risque certain pour la Suisse. Dans un tel cas, quand bien même une filiale suisse d’une société française exercerait une activité réelle, la France pourrait appliquer les règles SEC (Sociétés Etrangères Contrôlées) et donc imposerait en France les revenus de source suisse. On assiste clairement à une volonté des pays européens de protectionnisme fiscal.
Quel est le calendrier d’application de cette directive via des lois nationales dans les pays ?
Tous les pays de l’UE ont jusqu’au 31.12.2018 pour transposer cette directive dans leurs lois nationales. En ce qui concerne l’exit tax, elle devra être transposée au 31.12.2019. La limitation de la déductibilité des intérêts pourra être introduite dans le droit national avant le 31.12.2024.
La Suisse n’est-elle pas en bonne posture pour négocier avec l’Union européenne, s’inscrivant déjà dans le programme BEPS (lutte contre érosion fiscale) de l’OCDE ?
C’est un point de vue que je ne partage pas entièrement. Il est vrai que la Suisse a pleinement coopéré avec l’OCDE et s’est alignée sur les exigences fiscales de l’UE. Néanmoins, je considère que la Suisse risque de subir cette directive sans aucune contrepartie. En effet, la Suisse a accepté de supprimer les régimes spéciaux, mais elle pourrait néanmoins être discriminée par rapport aux pays membres de l’UE ou encore de l’EEE. Elle se retrouve, en quelque sorte, sans aucun leverage. Un peu à l’image de l’abandon du secret bancaire qu’elle n’a pas su monnayer pour un accès au marché financier européen.
Cette directive n’est-elle pas la première étape vers une harmonisation de la fiscalité des entreprises au niveau européen ?
Je le crains fortement. Mais la stratégie «one fits all» n’est pas adaptée et les besoins des «petits» pays sont divergents par rapport à ceux des états plus puissants économiquement parlant.
Quel est précisément l’impact de l’exit tax sur la Suisse ?
Si une entreprise européenne décide de déplacer son siège social en Suisse, dans un pays tiers ou dans un autre pays de l’UE, elle sera taxée (exit tax) comme si elle venait d’être liquidée. Elle devra alors payer immédiatement l’impôt des sociétés, l’impôt sur les plus-values latentes ou encore l’impôt sur les profits qui bénéficient du sursis. En résumé, il y aurait toute une cascade d’imposition. Le but étant d’empêcher le transfert de la base taxable sous des cieux plus cléments fiscalement. Il s’agit clairement de mise en place de frontières fiscales, qui va à l’encontre de la tendance actuelle de l’ouverture des marchés. On constate clairement un renfermement de la part de l’UE. Le problème de la compatibilité de l’exit tax avec le droit européen, et notamment avec la liberté d’établissement ou de la libre circulation du capital, pourrait prochainement se poser. Dès l’entrée en vigueur de cette directive, des litiges pourraient surgir devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. Mais pour en revenir à la Suisse, elle devrait être moins touchée par l’exit tax que par les règles SEC.
Dans quelle mesure la réforme des entreprises RIEIII est-elle pénalisée par cette directive de la Commission européenne ?
La Suisse n’a pas négocié la dérogation dans le cas d’une filiale suisse qui possède une activité réelle sur son territoire. Avec un taux d’imposition potentiel autour des 13%, elle pourrait tomber sous le coup des règles SEC, si la société-mère est située dans un pays européen à fiscalité forte (Allemagne, France, Italie ou même Espagne). Cela ne sera pas le cas des filiales implantées dans les pays de l’EEE. C’est assez fâcheux car les pays cités représentent plus de la moitié de la population européenne.