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Les services bancaires aux entreprises offrent beaucoup d’opportunités à marges attrayantes selon François Reyl.
La cession à Mediobanca d’une part substantielle des actions que le groupe Reyl détenait dans RAM a surpris par son ampleur et son timing. Elle suscite des interrogations quant au potentiel de la gestion d’actifs, tant au sein d’un groupe bancaire qu’en tant que boutique indépendante et spécialisée. La gestion passive exerce indéniablement une forte pression sur les frais de gestion, et donc sur les marges de cette activité. À l’échelle du groupe Reyl cependant, cette transaction ne marque en aucun cas une rupture avec la gestion d’actifs. Elle vise au contraire à accélérer le développement de RAM, tout en libérant des ressources du côté du groupe Reyl pour renforcer de nouveaux axes stratégiques. Les services aux entreprises y jouent un rôle clé, comme l’explique son directeur général François Reyl dans notre entretien exclusif.
Pourquoi avez-vous décidé de céder les parts dans RAM maintenant?
C’est l’aboutissement d’un vrai projet entrepreneurial, débuté il y a une quinzaine d’années avec des moyens modestes. Avec une masse sous gestion proche de cinq milliards de francs, RAM compte aujourd’hui parmi les leaders européens de la gestion active systématique. Un peu comme dans un cycle de private equity, après un certain laps de temps, un désinvestissement partiel était envisageable. Cette opération permettra à RAM de franchir de nouveaux paliers, en accédant à une capacité accrue de seeding sur ses nouveaux produits et à un réseau de distribution élargi au sein de l’Union Européenne. Mediobanca est en ce sens un partenaire idéal qui permettra à RAM de développer son plein potentiel.
Comment organisez-vous la gestion de fortune sans le lien avec RAM?
Le groupe Reyl conservera un statut de partenaire privilégié dans RAM et demeurera l’un des plus gros investisseurs dans ses produits. Nous diluons simplement notre participation de manière importante pour permettre à RAM d’entrer dans une nouvelle phase de croissance. Pour nous, cette participation résiduelle demeure par ailleurs un excellent investissement sur le long terme.
Mais pour obtenir cela, a-t-il été nécessaire de céder le contrôle de RAM?
La manière dont la transaction a été parfois rapportée était erronée. Avant la vente déjà, Reyl ne détenait que 45% de RAM, le reste était en mains des associés fondateurs et des collaborateurs. Les 69% désormais détenus par Mediobanca résultent donc d’une vente consolidée. La part restant après déduction des 7,5% toujours en mains de Reyl reste détenue par l’équipe de RAM, dont les employés-clé se sont engagés à long terme auprès de l’acquéreur. Cette part signifie aussi qu’ils continueront d’agir en tant que propriétaires entrepreneurs, plutôt qu’en employés.
Quel est le rapport entre la gestion de fortune d’une banque privée et la gestion d’actifs à l’heure actuelle?
Il s’agit certes de deux domaines très complémentaires, mais qui selon moi doivent également être différenciés. Ils ne ciblent pas les mêmes groupes d’investisseurs, n’ont pas les mêmes codes de fonctionnement et ne rémunèrent pas leurs cadres de la même manière. Même avant la cession à Mediobanca, nous avions filialisé l’activité de RAM et différencié sa marque afin de lui assurer une véritable indépendance opérationnelle. Les deux peuvent donc parfaitement coexister au sein d’un groupe, mais dans des canaux distincts.
Que signifie cela pour le recours à des fonds RAM dans le cadre de mandats de gestion privée?
L’investissement dans des fonds pour la clientèle privée se fait chez Reyl sur la base d’une architecture ouverte, qui inclut bien entendu les fonds RAM. Mais la part de la clientèle privée de Reyl dans la masse gérée de RAM est aujourd’hui inférieure à 10%. Cela montre que RAM a su se diversifier au-delà de son seeder historique, lui permettant de devenir un acteur vraiment indépendant. Nous comprenons que Mediobanca entend d’ailleurs conserver cette approche, dans le cadre d’une stratégie orientée sur la constitution de boutiques de gestion d’actifs spécialisées agissant avec une certaine autonomie opérationnelle.
La pression sur les frais de gestion exercée par la gestion passive n’a-t-elle pas joué un rôle dans votre décision?
Cette pression est indéniable sur l’industrie prise dans son ensemble. Cependant, la gestion active systématique, spécialité de RAM, est l’un des domaines de la gestion d’actifs où les marges ont le mieux résisté. Les institutionnels recherchent toujours des gestionnaires capables de créer de l’alpha de manière soutenue dans le temps, ce qui est le cas de RAM.
N’y aura-t-il à l’avenir plus que des spécialistes, pour la gestion privée, pour la gestion d’actifs?
Il existe en effet une tendance vers une segmentation plus importante des activités de banque privée et de gestion d’actifs. Mais certaines banques sont capables de garder en leur sein des départements d’asset management disposant de l’indépendance nécessaire à leur succès.
MiFID II pour l’heure prioritaire
Une loi suisse moins exigeante que la directive européenne correspondante, une sorte de swiss finish à l’envers, représente-t-elle vraiment un soulagement pour les banques? L’analyse de François Reyl incite plutôt à en douter.
La directive européenne MiFID II entre en vigueur dans moins d’un mois, alors que sa version suisse, apparemment allégée, la LSFin, est toujours en discussion. Comment gérez-vous cela?
Reyl & Cie appliquera bien entendu les standards MiFID II dans leur totalité pour sa clientèle résidant dans l’Union Européenne dès 2018. Pour la clientèle restante, nous analysons les deux options que sont l’application de MiFID II à toute la clientèle et l’application de la LSFin aux clients résidant en dehors de l’UE. On peut effectivement voir dans la LSFin un caractère édulcoré, mais il est trop tôt pour se prononcer de manière définitive, puisque les textes définitifs ne sont pas encore votés.
Comment allez-vous trancher?
Nous considérerons plusieurs facteurs dans notre prise de décision une fois la LSFin en vigueur. D’une part, les aspects vertueux de MiFID qui trouve ses racines dans la protection du consommateur. La mise en œuvre de cette directive permet un meilleur cadrage du profil de risque du client, et un meilleur dialogue avec lui dans le cadre du conseil à l’investissement. Elle offre également certains avantages dans le développement de nouveaux services à valeur ajoutée, tels que le robo-advisory, pour lesquels le nivellement et la standardisation résultant de MiFID II pourraient être bénéfiques.
D’autre part, nous évaluons les difficultés à faire coexister les deux standards dans le temps - aux niveaux opérationnel, informatique et même philosophique. Est-il possible, et justifiable, d’appliquer deux standards différents à la clientèle selon sa résidence ? Pour l’instant, nous penchons plutôt vers une application globale de MiFID II à moyen terme mais nous consultons encore sur cette question.
Le Corporate Advisory sera l’un des principaux moteurs de croissance
Comment allez-vous investir les moyens dégagés par la cession des parts de RAM?
Nous visons d’une part une expansion de Reyl & Cie sur ses métiers à forte valeur ajoutée qui concernent la clientèle High Net Worth, les Family Offices et les entrepreneurs. D’autre part, nous souhaitons développer notre pôle de gestion d’actifs non cotés, notamment private equity, private debt ou immobilier, en direct et par le biais de co-investissements. Enfin, nous allons investir fortement dans le numérique, aussi bien dans nos outils existants que dans le développement d’une offre ambitieuse à l’intention d’une nouvelle clientèle. Nous n’excluons pas des partenariats ou des acquisitions.
Les services aux entrepreneurs ne sont pas très répandus au sein des offres des banques privées…
Un groupe à taille humaine peut offrir un accès transversal facilité à l’ensemble de ses services, ce qu’une grande banque aura plus de mal à réaliser. La diversification des métiers afin de les faire travailler en synergie fait partie de notre modèle d’affaires de base depuis quinze ans. Pour un entrepreneur, c’est l’assurance que la banque s’intéressera à son entreprise, qui est son principal outil de création de valeur. Cela peut se faire par le biais de financements obligataires privés, levées de capitaux, conseils en restructuration ou en fusions et acquisitions. C’est dans cette optique que depuis 2013 nous avons développé notre offre dans le domaine du Corporate Advisory & Structuring.
D’autant plus que les grandes banques semblent délaisser ce terrain?
Elles ne traitent en effet typiquement que des transactions plus importantes, dépassant 200-300 millions de francs au minimum. Les opérations de taille inférieure sont souvent laissées au shadow banking. Cela laisse des possibilités à des banques plus agiles de conseiller des entrepreneurs dans le développement de la finance de leur entreprise, sur des levées de capitaux ou encore des opérations de haut de bilan. Nous ne mettons pas d’accent particulier sur le tissu local, même si nous le suivons avec grand intérêt. Nous restons opportunistes et agissons sur une base multi-juridictionnelle dans le cadre autorisé par la réglementation. Dans le cas d’opérations dépassant nos capacités financières propres, nous n’excluons pas de nous associer à d’autres établissements, par exemple dans le cas de financements structurés.
Quelle est la part actuelle du Corporate Advisory?
L’activité représente aujourd’hui approximativement 15% du chiffre d’affaires de la banque alors que nous n’avons démarré cette activité qu’en 2013! Après avoir beaucoup investi dans nos équipes, nous considérons que le Corporate Advisory représentera l’un des principaux moteurs de croissance de la banque dans les cinq ans à venir.