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La conjoncture est historiquement unique. Jamais deux banques d’une telle importance ne prendront des mesures aussi divergentes. Interview par Nicolette de Joncaire, L'Agefi
Demain la Banque Centrale Européenne annoncera les mesures qu’elle entend prendre. Une date cruciale qui sera immédiatement suivie des données de l’emploi US, des chiffres décisifs dans la prise de décision de la Fed qui se réunira les 15 et 16 décembre. La conjoncture est historiquement unique: jamais deux banques d’une telle importance ne prendront des mesures aussi divergentes et aussi déterminantes pour les allocations d’actifs. Entretien avec Cédric Özazman, Head of Investment and Portfolio Management du Groupe Reyl.
Quelles sont les attentes vis-à-vis de la réunion de la BCE jeudi?
L’attitude de la BCE est cruciale. Preuve en est que même lorsqu’elle n’agit pas, ses déclarations sont déterminantes. En août 2012, il avait suffi à Draghi de dire qu’il était «prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro» pour enrayer la crise de la dette souveraine européenne. Depuis, il a fait beaucoup et se montrera certainement prêt à faire davantage s’il le juge nécessaire. Les pronostics sont les suivants: une baisse supplémentaire du taux à -30 points de base, un allongement des maturités du programme d’emprunt à mars 2017 selon certains analystes (ces maturités sont actuellement à septembre 2016) et un élargissement du montant des achats d’obligations qui pourrait passer de 60 milliards mensuels à 70 milliards.
Ces mesures sont-elles justifiées?
L’inflation de base (en tenant compte des matières premières) est de 0,1%, l’inflation cœur de 1,1%. De ce point de vue, et en tenant compte du mandat de stabilité des prix de la BCE, ces mesures sont justifiées. Toutefois à 1,5% fin 2015, la croissance européenne surprend positivement ce qui tempère la nécessité de mesures de grande ampleur. J’estime que Draghi va agir, malgré l’opposition quasi certaine de Jens Weidmann, gouverneur de la Bundesbank, car l’un de ses objectifs est de faire baisser l’euro pour rendre la zone plus compétitive.
Que se passera-t-il du côté de la Fed?
Le relèvement des taux est déjà pris en compte pour 75% dans l’établissement des prix des marchés. La Fed devrait relever son taux directeur de 25 points de base en décembre puis opérer 3 à 4 relèvements successifs en 2016. A condition que les marchés ne réagissent pas négativement.
Faut-il donc s’attendre à un rapport de change renforcé entre dollar et euro?
Sur ce point, je serai plus prudent que d’autres. Le différentiel de taux est déjà largement reflété dans les prix. Par ailleurs, le compte courant de la zone euro est excédentaire de 2,87% alors que celui des Etats-Unis est déficitaire d’environ 2,39%. A terme, cela pourrait indiquer une réappréciation de l’euro d’autant que les indices qui tiennent compte de la parité de pouvoir d’achat tendent à indiquer que l’euro est sous-évalué, de 7 à 30%, selon l’indice utilisé.
Quel impact sur les allocations d’actifs?
Il est essentiel de ne pas se tromper sur le rapport euro/dollar qui devrait, selon mon estimation, évoluer entre 1,05 et 1,10. En 2015, certains titres et certaines régions ont largement profité de la hausse du dollar. Je pense en particulier aux sociétés exportatrices suédoises et allemandes. Je ne pense pas que ce cas de figure se représentera l’année prochaine. Dans ces conditions, les secteurs les plus intéressants sont, à mon sens, ceux qui sont les mieux protégés de la volatilité des devises. Je privilégierai plutôt les entreprises qui ont un fort biais vers la croissance domestique européenne, avec une préférence pour les compagnies allemandes et italiennes qui profiteront de l’essor de la consommation domestique. Ces sociétés bénéficieront du dynamisme européen sans être soumises aux aléas des changes.
Quels sont les secteurs qui vous paraissent les plus porteurs?
J’éviterais les utilities car malgré leur faible exposition extérieure elles ne génèrent pas de free cash flows et sont très règlementées. Les télécoms sont déjà chères (elles ont grimpé de 15% cette année. Ma préférence irait à certaines portions de la finance, les banques sans toutefois exclure les assurances.Les banques espagnoles, par exemple, ont sous-performé en 2015, partiellement en raison des élections de décembre, et dans le cas de BBVA et de Santander, à cause de leur exposition à l’Amérique Latine. Mon choix serait en faveur des banques domestiques italiennes ou espagnoles qui offrent des rendements du dividende supérieurs à 4%. Elles reflètent une nette amélioration à la marge de leur croissance et de surcroit bénéficient de la politique de la BCE. Un autre secteur qui me parait promis à un bel essor - tout au moins pour partie - est celui des médias. Plus particulièrement ceux qui ont réussi à mettre en valeur le potentiel de la digitalisation. Je pense par exemple au groupe de médias allemand ProSiebenSat.1 qui a su tirer parti de l’utilisation des médias sociaux. Certaines entreprises du secteur de la chimie - telles Solvay, Clariant, DSM, Croda ou Arkema - me paraissent aussi offrir un potentiel de gains car il faut vraisemblablement y attendre une vague de consolidation. J’en exclurais cependant les gaz industriels comme Air Liquide ou Linde.
Quels sont les autres catalystes potentiels?
L’intensification et l’internationalisation des troubles géopolitiques, jusqu’ici contenus, stimulera certaines industries de la défense. Il s’agit ici d’un secteur particulier où les contraintes sont à examiner de près.
Et les matières premières?
Nous n’investissons pas dans les matières premières. Quant aux exploitants, la seule entreprise qui me parait digne d’intérêt en raison de la solidité de ses dividendes est Total.